Ou à l’inverse, puis-je demander la condamnation du tiers qui attaque mon permis de construire ?
Disons-le tout de suite : c’est assez rare qu’un administré ayant introduit un recours contre un permis de construire soit condamné à verser une indemnisation pour recours abusif.
Pourtant, le Tribunal administratif de Montreuil nous a récemment montré, à l’occasion d’un jugement rendu le 14 novembre 2024 (n°2304169), que la menace reste crédible devant le juge administratif – même si selon votre Avocate, cela devrait rester assez exceptionnel (faits d’une certaine gravité).
En l’espèce, le permis attaqué portait sur la construction d’un pavillon d’habitation à Neuilly-sur-Marne.
Les requérants avaient attaqué le permis de construire de leurs voisins – qui étaient également leurs vendeurs, dans le contexte d’une division du terrain en deux lots. Pourtant, les requérants avaient négocié à la baisse le prix de vente du lot qu’ils achetaient en connaissance de cause du projet de construction, ce qui ne les avait pas empêché ensuite de tout faire pour stopper la réalisation du projet de construction, pourtant de faible envergure et sans impact sur leur propre bien. Ils avaient ensuite obligé les pétitionnaires à déposer un permis modificatif et enfin, refusé la médiation proposée.
📢 Les bénéficiaires avaient demandé près de 71.000€ de condamnation. Le tribunal n’en retiendra que 4.000€ plus les frais de justice – ce qui est déjà suffisamment rare pour que la presse commente.
A quoi correspond au juste le caractère abusif de l’exercice d’un droit ?
Après tout, si un tribunal peut être saisi, c’est que l’action est a priori considérée comme légitime ; de plus en matière d’urbanisme, le requérant a toujours un intérêt personnel au recours, bien qu’une fois devant la justice administrative, seule la légalité de l’autorisation soit contrôlée.
D’après le rapport Labetoulle qui a largement inspiré le livre du code dédiée au contentieux de l’urbanisme (Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre, avr. 2013, téléchargeable ici), on pourrait considérer comme abusif :
📑 « le recours de celui qui, manifestement, dérange inutilement le juge au regard de la faiblesse de son argumentation ou des enjeux qui sous-tendent le recours, ou encore de la fréquence de ses saisines ».
📢 Serait aussi abusif, le recours porté par celui qui « exploite habilement à son profit toutes les armes, fussent-elles détournées de leur vocation première, pour gagner du temps ».
⛔ Ce serait enfin le cas des recours introduits dans la seule « volonté de nuire à son bénéficiaire (…) » ou dans le seul but d’obtenir une « contrepartie financière pouvant être négociée en échange d’un désistement (…) ».
Mais ce rapport ne donne qu’une définition très libre et très théorique du recours abusif. En pratique, c’est au juge – et à lui seul – d’apprécier si l’exercice de ce droit au recours a dégénéré.
Depuis 2013 devant la justice administrative, la recevabilité de l’action contre une autorisation de construire est déjà sévèrement appréciée (voir notre article sur les recours contre un permis de construire).
Pour que l’affaire soit jugée, il faut que le tiers subisse un trouble dans les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien (cf article L.600-1-2 du code de l’urbanisme), ou au moins – s’il est voisin immédiat – apporte des éléments sur la nature ou l’importance du projet.
Autrement dit, si le requérant habite loin, si la construction ne lui cause aucune nuisance, si le projet est de très faible ampleur etc., il y a des chances que son recours soit irrecevable. Ce premier filtre est donc déjà sévère.
En résumé, puisque l’intérêt à agir est défini par une atteinte aux intérêts du requérant, le caractère abusif de son action alors qu’il a été jugé recevable à agir a peu de chances d’être retenu.
🔎 Bon à savoir : les associations environnementales régulièrement déclarées sont présumées agir dans les limites de la défense de leurs intérêts légitimes.
Il existe deux fondements à une condamnation pour recours abusif devant le juge administratif :
✅ Article L.600-7 du code de l’urbanisme. Bénéficiaire du permis, vous pouvez, au moyen d’une demande reconventionnelle pendant l’instance, faire une demande à caractère indemnitaire. Dit autrement, non seulement vous défendez la régularité de votre autorisation, mais vous en profitez pour ajouter, par un mémoire distinct, une demande de condamnation de celui qui l’attaque.
✅ Article R.741-12 du code de justice administrative. Le juge administratif peut condamner le requérant à une amende d’au maximum 10.000€. Cette amende n’a pas vocation indemnitaire (elle est versée à l’Etat). Il n’est pas possible de demander au juge de l’infliger. Le juge est seul décisionnaire. Ce type de condamnation reste rare.
Devant le juge civil, les condamnations pour recours abusif résultent d’une classique action en responsabilité de l’article 1240 du code civil. Elles peuvent être plus sévères que devant le juge administratif, qui reste relativement réticent à manier ce dispositif. C’est donc plus sur ce terrain que l’on recommandera d’aller à un bénéficiaire de permis qui identifie un sérieux abus.
L’indemnisation est conditionnée à :
- L’existence d’un préjudice,
- Le lien de causalité : il faut que ce préjudice soit directement rattachable à une faute du requérant dans l’utilisation de son droit d’agir en justice.
Peut ainsi être fautive l’intention de nuire (v. p. ex. Cour de cassation, 3ème chambre civile, 5 juin 2012, n°11-17.919). Il est jugé que l’appréciation inexacte qu’une partie fait de ses droits n’est pas à elle seule constitutive d’une faute – cela est logique puisque le droit au recours reste le principe, sauf s’il est démontré que le demandeur ne pouvait, à l’évidence, croire au succès de ses prétentions (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 30 janvier 2024, n° 20/00834).
Dans cette dernière affaire aixoise, on parle en millions : la société bénéficiaire réclamait pas moins de 15 563 120 € en condamnation du requérant – de quoi faire un petit malaise à réception de l’assignation.
A ce titre, relevons l’intéressant développement de la Cour, suite à la demande reconventionnelle du requérant et alors que le juge administratif avait jugé l’action recevable, et annulé le permis :
« Dans un tel contexte, la procédure engagée contre M. [M] et le montant de l’indemnisation réclamée, de nature à faire forte impression sur le particulier auquel elle est réclamée, traduit, comme l’a estimé à juste titre le premier juge, une volonté de la SAS Corniche du bois sacré de faire pression et d’intimider qui caractérise, par une instrumentalisation du procès, un abus dans l’exercice de son droit d’agir en justice ».
L’assignation pour recours abusif s’est donc retournée contre son instigateur. Il revient en fait à l’avocat de conseiller, lorsqu’un abus est réellement identifiable, un minimum de modération et d’adéquation aux faits dans les demandes du bénéficiaire du permis de construire.
💬 A noter : le fait qu’une demande de condamnation puisse être faite devant le juge administratif, sur le fondement de l’article L.600-7 du code de l’urbanisme, n’empêche pas de saisir le juge civil (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 16 novembre 2016, n° 16-14.152).
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