Le problème de l’artificialisation des sols est loin d’être récent. Pourtant, sa prise en compte au niveau législatif et réglementaire n’a clairement été actée qu’en août 2021. On s’en rappelle, la convention citoyenne pour le climat officiellement constituée en octobre 2019 par le Conseil économique, social et environnemental avait regroupé 150 volontaires au sein de la population française, avec un objectif : définir des mesures à soumettre soit au référendum, soit au vote du Parlement, soit à l’application réglementaire, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40% d’ici 2030 par rapport à 1990, dans un esprit de justice sociale. Parmi les mesures soutenues, figurait la lutte contre l’artificialisation des sols et l’étalement urbain.
La loi « Climat et résilience » d’aout 2021 (Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique) a porté cette préconisation : elle a fixé un objectif temporel, le « zéro artificialisation nette des sols » en 2050, et un objectif temporel intermédiaire de réduction de moitié de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers dans les dix prochaines années, d’ici à 2031.
Cet objectif n’a pas cessé de faire débat depuis, tant dans son principe que dans ses modalités d’application.
Des questions de fond sur le projet de société que l’on souhaite définir se sont posées.
Globalement, personne ne soutient que la lutte contre l’artificialisation des sols n’est pas légitime.
Le guide synthétique du Ministère de la Transition Ecologique rappelle les conséquences de l’artificialisation des sols :
« Les conséquences sont écologiques (érosion de la biodiversité, aggravation du risque d’inondation par ruissellement, limitation du stockage carbone), mais aussi socioéconomiques (coûts des équipements publics, augmentation des temps de déplacement et de la facture énergétique des ménages, dévitalisation des territoires en déprise, diminution du potentiel de production agricole etc.) » (consultable sur ce lien).
En revanche, des voix ont pu s’élever sur les difficultés pratiques que cette politique publique comporte nécessairement. Parmi d’autres, quelques questions : comment réadapter le modèle alors que de nombreux français ont fait (et font encore) le choix de la maison individuelle en lotissement, format urbain grandement responsable du mitage urbain ? Comment réorienter l’économie des zones industrielles et commerciales périurbaines, fondées sur l’utilisation de la voiture individuelle ? Comment pousser les industriels à dépolluer suffisamment les terrains qu’ils quittent pour qu’un projet de construction, éventuellement de logement, d’école ou autre aménité, puisse voir le jour ? etc.
La convention citoyenne pour le climat, fidèle à sa méthodologie, a rappelé qu’elle était bien consciente des obstacles – non exhaustifs – que le ZAN nécessiterait de surmonter.
Evidemment, les collectivités territoriales se sont aussi beaucoup interrogées. Comment tenir compte des besoins locaux sans mettre à mal la nécessaire sobriété foncière ? Est-ce que la déclinaison de ce principe n’allait pas pénaliser certaines collectivités plus que d’autres, et certaines ne devraient-elles pas légitimement pouvoir développer leur offre de logement ? Les projets d’intérêt national n’allaient-ils pas excessivement consommer l’enveloppe foncière constructible [*] ? Plus encore, était-on certains de savoir donner les bons outils de mesure ? Des exceptions existeraient-elles, et à la main de qui ? Avec quelle souplesse d’appréciation ? .
[*] Sur l’inclusion des projets d’envergure nationale dans la pochette des surfaces à artificialiser, une liste a été dressée par arrêté du 31 mai 2024. Un forfait national de 12.500 hectares a été déterminé par la loi. L’enveloppe peut évoluer mais ne doit pas déborder sur les hectares constructibles des collectivités. Le calcul des hectares soulève de nombreux débats (v. https://www.banquedesterritoires.fr/lutte-contre-lartificialisation-des-sols-la-liste-des-projets-denvergure-nationale-ou-europeenne).
Le très classique article L101-2 du code de l’urbanisme, qui dresse une liste des objectifs que les collectivités doivent poursuivre en matière de politiques publiques d’urbanisme, inclut désormais « La lutte contre l’artificialisation des sols, avec un objectif d’absence d’artificialisation nette à terme » (point 6° bis).
Dans son sillage, le nouvel article L. 101-2-1 du code de l’urbanisme vient préciser qu’il s’agit de trouver un équilibre entre pas moins de sept objectifs :
« 1° La maîtrise de l’étalement urbain ;
2° Le renouvellement urbain ;
3° L’optimisation de la densité des espaces urbanisés ;
4° La qualité urbaine ;
5° La préservation et la restauration de la biodiversité et de la nature en ville ;
6° La protection des sols des espaces naturels, agricoles et forestiers ;
7° La renaturation des sols artificialisés. »
Sont données les définitions de :
- L’artificialisation : « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ». L’acte de construire un bâtiment ou une infrastructure routière sur un terrain nu est donc l’exemple type de l’artificialisation. Quelques cas intermédiaires pourront susciter des interrogations. Par exemple, artificialise-t-on un sol si l’on se contente de poser un système de dalle alvéolée pour parking gazon ?
- La renaturation / la désartificialisation : « actions ou (…) opérations de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol, ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé ». Dans son guide consultable en ligne, le ministère de la Transition Ecologique en donne quelques exemples, comme le Grand Site de France Concors Sainte-Victoire situé dans la métropole Aix-Marseille-Provence (après conventionnement avec la commune, démantèlement de l’armature métallique d’une serre à l’abandon, démolition et évacuation de la dalle, nettoyage du site, griffage du sol pour favoriser la revégétalisation naturelle) ou encore le projet de reconversion de la place centrale de Niort en un grand jardin.
- L’« artificialisation nette des sols», dont la définition était nécessaire à la mesure des efforts et actions menées. Elle correspond au « solde de l’artificialisation et de la renaturation des sols constatées sur un périmètre et sur une période donnés ».
L’article L. 101-2-1 précise enfin que l’on doit considérer comme « artificialisé » et « non-artificialisé » :
- « a) Artificialisée une surface dont les sols sont soit imperméabilisés en raison du bâti ou d’un revêtement, soit stabilisés et compactés, soit constitués de matériaux composites ;
- b) Non artificialisée une surface soit naturelle, nue ou couverte d’eau, soit végétalisée, constituant un habitat naturel ou utilisée à usage de cultures ».
Bien entendu, des mesures d’application étaient attendues.
Pour savoir comment faire le solde entre les surfaces artificialisées et les surfaces désartificialisées, il faut se référer à la nomenclature annexée à l’article R.101-1 du code de l’urbanisme.
Cet article a été créé par un premier décret d’application d’avril 2022, complété en août de la même année (Décret n°2022-763 du 29 avril 2022 et Décret n° 2022-1204 du 30 août 2022).
Cependant, ces dispositions ont été partiellement annulées suite à la saisine du Conseil d’Etat par l’Association des Maires de France. Dans ses décisions du 4 octobre 2023, le Conseil d’Etat a en effet considéré qu’il manquait au dispositif l’échelle à laquelle l’artificialisation des sols devait être appréciée dans les documents de planification et d’urbanisme. En novembre 2023, un nouveau décret a été approuvé (décret n° 2023-1096 du 27 novembre 2023 relatif à l’évaluation et au suivi de l’artificialisation des sol). La nomenclature est consultable en ligne.
Remarque : les dispositions réglementaires prévoient expression des exceptions pour le calcul des sols artificiels. On peut en exclure les surfaces accueillant du photovoltaïque (dans certaines conditions) et les parcs ou jardins publics végétalisés.
Une période de référence été arrêtée : on partira de la période de 2011 à 2021 pour identifier les droits à consommation d’hectares non artificialisés pour les dix prochaines années.
Il restait donc à savoir quelle avait été la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (dits « ENAF ») dans ce laps de temps. Le calcul a été fait : 243 136 hectares d’ENAF ont été consommés entre 2011 et 2021.
Par conséquent, l’objectif de réduction de 50% du rythme d’artificialisation des sols d’ici 2031 implique que l’enveloppe nationale cible soit limitée à 121 568 hectares. Autrement dit, il reste seulement 121 568 hectares artificialisables sur tout le territoire français. Pour rappel, cette enveloppe tient compte de ce qui aura été déduit, à savoir les surfaces d’espaces renaturés.
La mise en œuvre concrète du principe ZAN impose de répartir cette enveloppe globale sur le territoire, au moyen des fameuses « trajectoires ZAN ».
Le nouvel article R101-2 du code de l’urbanisme met en place un observatoire national de l’artificialisation des sols. Le principe doit être décliné localement avec les observatoires de l’habitat et du foncier.
Sur le portail de l’artificialisation des sols, deux outils se côtoient :
- Un outil qui recense la consommation d’espaces sur la base des fichiers fonciers, à consulter en ligne sur la Cartographie des flux de consommation d’espaces
- Un outil qui se base sur l’observation matérielle concrète des sols, construit par l’IGN appelé « Occupation du sol à grande échelle (« OCS GE ») ».
Les documents de panification régionaux (SRADDET, SDRIF, SAR, PADDUC) vont fixer des objectifs territoriaux, que les communes et intercommunalités (SCOT, PLU, PLU intercommunaux, cartes communales) vont devoir décliner.
L’enveloppe chiffrée est déterminée selon un principe de territorialisation (adaptation de l’enveloppe des hectares constructibles aux efforts déjà déployés par le passé et aux besoins du territoire). Une gouvernance spécifique a dû être mise en place pour assurer le succès de ce déploiement. Il existe une « garantie communale » laissant au moins 1 hectare consommable aux communes (sauf à n’avoir prescrit ou arrêté aucun document d’urbanisme dans les délais).
Concrètement, les communes et intercommunalités compétentes en matière de PLU et cartes communales devront réaliser un diagnostic de territoire afin de décliner la trajectoire ZAN de leur document supérieur. Le zonage réglementaire sera le support d’identification de ces surfaces gelées, et les règles opposables seront l’instrument principal de mise en œuvre du ZAN. On peut imaginer le reclassement de certains d’entre eux en ENAF, ou encore l’abandon de zones « AU » (à urbaniser) qui n’ont finalement jamais fait l’objet de projets d’aménagement.
Attention toutefois, le contrôle du point de savoir si les collectivités compétentes ont bien décliné les objectifs ZAN sera indifférent du zonage réglementaire choisi. Le contrôle s’effectuera grâce au mesurage réel des surfaces artificialisées (dont on déduit pour mémoire les surfaces renaturées).
Une évaluation de ces mesures doit avoir lieu à l’occasion du rapport triennal du schéma ou de l’évaluation du PLU après six ans.
Avec la loi du 20 juillet 2023 visant à simplifier la mise en œuvre du ZAN, d’initiative sénatoriale, les délais de mise en œuvre ont été repoussés. La déclinaison du ZAN dans les documents d’urbanisme doit respecter le calendrier suivant :
En attendant, les communes pourront opposer des décisions de sursis à statuer sur les demandes de permis de construire ou toute autre autorisation d’urbanisme entraînant une consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers qui pourrait compromettre l’atteinte des objectifs de réduction de cette consommation susceptibles d’être fixés par le document d’urbanisme en cours d’élaboration ou de modification (loi du 20 juillet 2023 précitée).
Les sanctions sont assez sévères :
- Pénalité de -50% d’hectares constructibles pour les SCoT (ou pour les PLU/cartes communales en l’absence de SCoT) pour 2021-2031,
- Gel des ouvertures à l’urbanisation
- Gel de la délivrance des autorisations d’urbanisme dans les zones à urbaniser (AU) et dans les secteurs constructibles des cartes communales
D’ailleurs, l’Association des Maires de France entend bien contester ce calendrier qui n’est pas jugé réaliste, tout comme la méthode qui est jugée « descendante » et rappelle qu’elle aurait préféré que ce ne soit pas l’Etat qui impose des enveloppes constructibles, mais les collectivités qui fassent remontrer les capacités et besoins. Les résultats de l’enquête que l’AMF a menée sont consultables en ligne sur son site internet.
L’autrice du présent article approuve pleinement l’idée selon laquelle il est nécessaire de s’adapter aux particularités de chaque territoire, avec une gouvernance à même de préserver la place des collectivités au premier titre concernées. Elle émet en revanche un doute – qui n’engage qu’elle – sur l’efficacité concrète d’une méthode purement « ascendante », alors que les premiers résultats de terrain devront être constatés d’ici 7 ans au jour de cette publication.
- Petites communes : quelles sont vos obligations ? comment mutualiser la garantie communale d’1 hectare ? Comment mettre en œuvre vos outils de maîtrise foncière ZAN – le sursis à statuer et le droit de préemption spécifiques ? et toute autre question posée par l’application du ZAN sur votre territoire
- Associations, citoyens : comment attirer l’attention de la collectivité sur les espaces à renaturer ? Comment assurer leur prise en compte ? Aider à la mise en œuvre du ZAN ?
- Représentation contentieuse dans le cadre de l’évolution du documents régionaux et communaux