Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat indique que l’autorité administrative doit vérifier à tout moment s’il est nécessaire de prendre des mesures de nature à préserver les espèces protégées.
Autrement dit, ce contrôle ne s’effectue pas seulement au tout début du projet (lorsque la demande d’autorisation est déposée) mais aussi en cours d’exploitation, peu importe que le risque sur les espèces ne résulte pas d’une modification de cette installation.
Il était question d’une installation déjà en service– le parc éolien de La Baume, sur le plateau du Larzac (DREAL Occitanie), comptant 6 éoliennes et autorisé en 2017.
Lors de son implantation, la mise en service avait été différée le temps de nouvelles études ornithologiques. En janvier 2018, le préfet de l’Aveyron avait prescrit des mesures de suivi de l’activité et de la mortalité des oiseaux et interdit le fonctionnement du parc éolien en période nocturne. En janvier 2020, une nouvelle étude avait aboutit à un nouvel arrêté préfectoral, levant les précédentes prescriptions. Cet arrêté a été attaqué par la LPO – la Ligue de Protection des Oiseaux (voir sur leur site). Par un arrêt du 8 décembre 2022, cour administrative d’appel de Toulouse avait rejeté sa requête.
Sur le principe, le Conseil d’Etat juge qu’il « appartient à l’autorité administrative de prendre, à tout moment, à l’égard de l’exploitant, les mesures qui se révèleraient nécessaires à la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts énumérés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, notamment la protection de la nature et de l’environnement. Il lui appartient, à cette fin, de prendre les mesures de nature à préserver les espèces animales non domestiques protégées ainsi que leurs habitats. »
Puis, en cherchant à répondre à la question de savoir si la Cour administrative d’appel avait adopté la bonne grille d’analyse sur son contrôle de l’arrêté préfectoral attaqué, le Conseil d’Etat explique que :
« En se bornant ainsi, d’une part, à constater que les mesures envisagées étaient de nature à réduire un risque de collision sans se prononcer sur son caractère résiduel après la prise en compte des mesures de réduction et, d’autre part, à retenir l’existence de mesures qui n’avaient vocation à intervenir qu’après la survenance d’un tel risque, pour juger que les intérêts protégés par les articles L. 181-14 et L. 511-1 du code de l’environnement n’étaient pas méconnus, alors qu’il ressortait de ses propres constatations que le parc éolien en litige présentait un impact sur une espèce protégée pour laquelle un cas de mortalité d’un spécimen était susceptible d’affecter son état de conservation, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’une erreur de droit. »
Et, reprenant la ligne jurisprudentielle désormais établie, le Conseil d’Etat indique :
« Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus impose d’examiner si l’obtention d’une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l’espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l’applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l’état de conservation des espèces protégées présentes. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation » espèces protégées » si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d’évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l’hypothèse où les mesures d’évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l’administration, des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu’il apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé, il n’est pas nécessaire de solliciter une dérogation » espèces protégées » »
L’article L.4111-1 du code de l’environnement établit des principes protecteurs des espèces, en interdisant notamment :
- Destruction de spécimens,
- Perturbation des animaux dans leurs milieux,
- Destruction ou dégradation des habitats,
- Détention, transport, vente, commercialisation de spécimens prélevés dans un milieu naturel…
Des arrêtés ministériels (faune et flore) ciblent les espèces en question. Exemple pour les mammifères terrestres : l’arrêté du 23 avril 2007 vise certaines chauve-souris, hérissons, écureuils et bien d’autres encore.
Pour autant, toute destruction n’est pas systématiquement impossible, et certains projets seront autorisés sous réserve d’obtenir une dérogation à cette stricte protection des espèces et de leurs habitats. C’est à l’article L.411-2 code de l’environnement qu’il convient de se référer pour savoir si un projet est susceptible d’obtenir une dérogation.
« I. – Un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées :
(…) 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1, à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l’autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle :
a) Dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ;
b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ;
c) Dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement (…) »
En somme, trois conditions sont requises :
Sur la condition n°1 (intérêt public majeur), il faut souligner que la jurisprudence est devenue assez stricte ces dernières années (voir Conseil d’Etat, 28 décembre 2022, Association Sud-Artois pour la protection de l’environnement, n° 449658).
☑️ Petite illustration du critère de l’intérêt public majeur, en mise à jour du présent article : le Tribunal administratif de Toulouse a récemment jugé, par une ordonnance de référé du 18/09/2024, que le projet de ligne LGV Bordeaux-Toulouse était un projet répondant à des impératifs économiques et environnementaux, au niveau local, national et européen. Après en avoir listé certains avantages (impacts prévisionnels du projet sur les émissions de gaz à effet de serre, fluidification des mobilités, amélioration du trafic, desserte ferroviaire, attractivité des territoires et développement du tissu économique local), le tribunal considère qu’il n’existe pas de doute sur son intérêt public majeur.
- Porteurs de projet : nécessité ou non d’une dérogation espèces protégées ?
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- Représentation contentieuse devant les juridictions administratives